À l’occasion de notre séminaire de rentrée, Corinne Le Quéré, chercheuse en science du changement climatique et présidente du Haut Conseil pour le climat, a répondu à nos questions quant à la sensibilisation et l’éducation au changement climatique. Dans cette interview réalisée début septembre, Mme le Quéré explique les facteurs de mobilisation des jeunes, les évolutions nécessaires de nos sociétés pour comprendre et être capable d’engager des actions à tous les niveaux, et détaille son expérience personnelle au contact des différents publics. Elle revient sur l’urgence et les démarches à engagées et pointe la nécessité d’embarquer le plus grand nombre. Le réchauffement climatique n’est pas une question écolo mais bien une question de société.

Cet entretien vidéo a été réalisé le 3 septembre dernier. Nous en proposons une synthèse dans cet article. Vidéo également disponible en CC-by-sa sur notre médiathèque.

Antony Le Goïc-Auffret : Pouvez-nous nous dire quelques mots sur le Haut Conseil pour le Climat ?

Corinne Le Quéré, : Le Haut conseil pour le climat est un conseil indépendant qui a été créé par le gouvernement l’année dernière, qui est composé de 13 experts scientifiques, techniques et économiques sur les changements climatiques. Il est en charge d’évaluer les actions publiques et de faire des recommandations. On a remis notre rapport au Premier ministre en juin de cette année (https://www.hautconseilclimat.fr/rapport-2019/)

A. Le G.-A. : Comment convaincre et mobiliser les personnes que vous rencontrer (députés, sénateurs, gouvernements) pour modifier leurs pratiques et pour lutter contre le changement climatique ?

C. Le. Q. : On n’est pas forcément là pour convaincre mais pour montrer les évidences, ce qui fonctionne ou pas, basé sur ce qu’on peut observer. On essaie de mettre en évidence ce qu’on connait et quelles sont les limites des changements climatiques et des actions qu’on peut porter. On se rend compte que les gens sont à des niveaux très différents de compréhension et d’acceptabilité des changements climatiques.

Il y a une certaine évolution nécessaire à faire au niveau personnel pour être capable d’engager des actions aux niveaux national, régional, voire local et des individus. Il faut d’abord reconnaître que la planète se réchauffe dans toutes les mesures, de reconnaître que les impacts sont très importants et — pour la plupart d’entre eux — néfastes, soit au niveau des vagues de chaleur, des risques d’inondations, des impacts sur la productivité agricole, etc.. Il faut aussi reconnaitre que le réchauffement est causé par les activités humaines. Pour beaucoup de monde, cela ne fait plus de doute que nos activités humaines augmentent les gaz à effet de serre dans l’atmosphère et que cela cause les changements climatiques. Finalement la dernière étape c’est de voir qu’on a tous les outils en mains pour répondre au changement climatique. Et c’est au niveau de l’action que c’est le plus intéressant ; elle doit pénétrer très profondément dans la société : c’est toutes nos activités qu’il faut revoir. Il s’agit de regarder l’environnement sous tous les angles : éducation, mobilité, logement, consommation, etc. On en a les capacités, on a les outils, les connaissances pour agir. Il faut revoir en profondeur la façon dont on prend nos décisions, dont on planifie à court terme (lois, projets) ou à long terme (comment la structure de l’économie pourra nous soutenir demain ?). Il faut que chacun puisse réfléchir et porter ses propres conclusions pour que les décisions soient alignées avec les actions sur les changements climatiques.

A. Le G.-A. : Il y a donc un enjeu autour de la reconnaissance des faits, l’origine entropique de ces changements, et qu’il y a des leviers d’actions à activer dans toute la société et à tous les niveaux. Mais comment cela se passe-t-il ? Y a-t-il encore beaucoup de gens qui ne savent pas qu’il y a un changement climatique ?

C. Le. Q. : il y a eu beaucoup d’évolutions dans les dernières années. Au niveau de la société, il y a une reconnaissance de ce changement climatique et que ce sont les activités humaines qui causent ce changement climatique. La France et 196 pays ont signé l’accord de Paris qui apporte un cadre très structurant aux actions globales. Il n’y a pas que la France qui agit mais tous les pays agissent selon leurs capacités. Cette action va se renforcer avec le temps. On est dans une bonne position où on a un accord structurant, avec une reconnaissance qu’il faut limiter les changements climatiques au niveau le plus bas possible, au moins bien au-dessous des 2°C de réchauffement, sachant qu’on a déjà 1°C de réchauffement ce qui est énorme.

On se rend compte que les actions qu’on fait sont trop faibles, pas assez organisées. Quand on fait des plans, des investissements, des actions, on évalue rarement quels seront leurs impacts sur les changements climatiques. Quand on fait une action, de la même façon qu’on sait ou qu’on peut estimer combien ça coute financièrement, on devrait pouvoir être capable d’évaluer combien ça nous coute en matière d’impact climatique, et d’ajuster selon le besoin. C’est cette pratique de regarder ce qu’on fait, d’évaluer avant, pendant et après, qui est vraiment très importante pour s’assurer que les actions climatiques sont au bon niveau. C’est la recommandation la plus forte dans notre rapport : inclure les impacts des changements climatiques dans tous les projets.

A. Le G.-A. : Le changement climatique, ce n’est donc pas une question environnementale ou écolo, c’est une question de société, à prendre en considération dans tous les secteurs.

C. Le. Q. : Tout à fait. Il faut vraiment planifier à long terme : si on veut que la mobilité soit électrique, il faut produire des voitures électriques et non thermiques par exemple. Si on veut que les gens se déplacent en vélo plutôt qu’en voiture, il faut avoir des pistes de vélo et des endroits pour accéder aux vélos et les verrouiller. Il faut préparer à long terme en même temps que mener des actions à court terme.

A. Le G.-A. : Vous dites qu’on a tous les outils et les savoir-faire (mobilités, pratiques agricoles, circuits courts). Mais il faut les faire passer à l’échelle et à la bonne mesure des enjeux.

C. Le. Q. : Oui, et il y a un rôle très important pour les gouvernements nationaux, locaux, régionaux, pour faire les bons investissements, règles, normes, subventions, incitations, au bon niveau et encourager la société à faire des transitions alignées avec les objectifs climatiques.

Il y a aussi un rôle très important à jouer pour les individus, les entreprises et la société pour s’y mettre. A la fin, si on parle de se déplacer autrement, ce sont les individus qui doivent s’y mettre : quelles options j’ai pour me déplacer ? Est-ce que je dois faire des investissements, pas forcément financiers mais en termes de temps par exemple ? C’est la même chose au niveau de la consommation l’alimentation, l’habitation, etc. Il faut qu’on soit capable nous-mêmes de voir quels sont nos leviers d’action et aller de l’avant. Il y a un rôle pour les décideurs politiques, il y a aussi un rôle pour les décideurs individuels, la famille, l’entreprise, aux écoles et à toute la chaîne de décision de la vie de tous les jours.

A. Le G.-A. : On voit des organisations de jeunesse comme « Youth for Climate » ou « Extinction Rébellion » qui demandent la prise en compte du changement climatique. Quels rôles pour les actions ? Est-ce utile selon vous ?

C. Le. Q. : Ces actions donnent vraiment une idée d’où on en est dans la société. Il y a beaucoup de protestations, les gens sont prêts pour le changement. Pour les jeunes qui s’expriment en particulier, ils attendent des gouvernements et des sociétés cette transition énergétique et climatique.

Pour réussir dans nos actions, il faut que toute la société soit à bord. Il faut faire attention que ça ne soit pas des mouvements marginaux mais qu’on amène toute la société avec nous. Et puis, il faut reconnaitre que ça va prendre beaucoup de temps à répondre aux changements climatiques. Des efforts maintenant, cette année, l’année prochaine mais aussi toute une génération voire deux pour implémenter les actions nécessaires à long terme. Il faut regarder comment ces mouvements peuvent être générateurs d’actions et comment poursuivre les actions associées à long terme.

A. Le G.-A. : Un rapport du CGET a enquêté auprès des jeunes de quartiers populaires et en milieu rural en France sur leur représentation du monde. On mesure une vraie angoisse par rapport au futur, sur le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, et des gens qui prédisent que, dans quelques années, il y aura un effondrement de tous les dispositifs solidaires et sociaux et politiques. Comment voyez-vous cela ? A nous, en tant qu’animateurs, qui sommes au contact direct avec les jeunes, que peut-on leur dire ?

C. Le. Q. : Je comprends l’inquiétude des jeunes, et je la partage jusqu’à un certain point. Par contre, je trouve qu’on est dans une bonne position parce qu’on connait les actions, on est capable de les faire, on a individuellement et collectivement des leviers pour enclencher ces actions. Personnellement, je trouve que plus j’agis moins je suis anxieuse. Je pense que se concentrer sur ce qu’on peut faire, d’essayer de mettre en route des activités, une contribution et en même temps d’aider à lever l’action, ça aide à réduire les anxiétés. On pourrait être dans une situation pire, ne pas avoir les technologies ou les connaissances pour répondre aux changements climatiques, alors qu’on les a et qu’on est capable de les mettre en route. Je pense que c’est là dessus qu’il faut se concentrer, sur l’action qui nous permet de commencer à mettre en route ce que l’on doit faire.

Je veux dire qu’il n’y a pas que l’action individuelle. On peut faire des choses en tant qu’individu mais il faut vraiment que ce soit une action collective menée par les décideurs politiques qui nous mène de l’avant.

A. Le G.-A. : La société de consommation est par essence émettrice de CO2. Pensez-vous qu’il soit possible d’agir sans remettre en question l’organisation de ce système économique ?

C. Le. Q. : Il y a déjà beaucoup de choses qu’on peut faire pour faire avancer les réponses au changement climatique mais il y a aussi beaucoup de choses qui demandent une transformation de la façon dont on produit et on consomme.
On a plusieurs leviers d’actions : un levier d’action sur l’efficacité – réduire notre demande en énergie en utilisant des technologies plus efficaces, par exemple des plus petites voitures –, un levier d’action sur la sobriété – réduire la demande en énergie en consommant moins ; là on a besoin de revoir structurellement comment la société fonctionne – ; et on a l’action qui consiste à compenser nos émissions en créant des puits de carbone, en plantant des arbres, des forêts et en prenant soin de nos sols. Donc on a toute une gamme d’actions.

Nous n’avons pas regarder en profondeur jusqu’à quel point il faut revoir le système économique actuel mais il est clair qu’il faut revoir la façon dont on finance les énergies vertes ou non, la façon dont on finance les infrastructures qui vont nous aider à passer à une société bas carbone, par rapport à ce qu’on fait maintenant, c’est à dire construire des routes, des autoroutes, etc. dont on n’aura pas besoin dans une société bas carbone de demain.

On a beaucoup de choses à préparer de manière structurelle. Mais, en même temps, il ne faut pas seulement regarder la structure de fond mais aussi les opportunités qu’on a maintenant. Par exemple, en matière de transport, on a toutes les options. On n’a pas franchement besoin de faire beaucoup pour aller de l’avant, on a besoin de faire beaucoup pour aller jusqu’à la neutralité carbone à long terme. On peut mettre en action toute une gamme de leviers tout de suite, d’autres sont à préparer à long terme.

A. Le G.-A. : Depuis vingt ans, les petits débrouillards vulgarisent les données, les travaux issus du GIEC notamment, sur les changements climatiques, dans une démarche non pas de convaincre mais d’expliquer ce qui est en jeu en terme de phénomènes physiques, chimiques, climatiques, les mesures, les observations qu’on fait, les concepts scientifiques, et puis les enjeux pour l’humanité et des scénarios proposés par le GIEC sur les pistes d’actions collectives et individuelles. Quels conseils donneriez-vous aux professionnels de l’animation et de l’éducation que sont les petits débrouillards présents aujourd’hui, pour agir demain à long terme, auprès des jeunes ?

C. Le. Q. : Je vous parle de mon expérience personnelle. Je trouve que convaincre c’est assez difficile. On n’aime pas beaucoup de se faire convaincre individuellement. Ce qu’on aime, c’est faire notre cheminement personnel. Alors de soutenir les gens pour qu’ils puissent eux-mêmes faire leur cheminement personnel devient une manière beaucoup plus puissante pour avoir une action collective forte. Soutenir les gens pour comprendre les changements climatiques, comprendre que cela est causé par nos activités, de comprendre ce que l’on peut faire, c’est à dire d’accompagner les gens dans leur cheminement personnel, c’est très utile et ça marche bien. Ensuite, pour voir avec les décideurs politiques, cela se joue à une autre échelle.

Entretien réalisé par Antony Le Goïc-Auffret.