L’occasion nous est donnée d’appliquer notre mot d’ordre, ?=+, à propos des savoirs que chacun de nous construit au fil de sa vie.
Savoirs “naïfs” et savoirs “scolaires” (et pourquoi pas “petits débrouillards” ?)
Ceci nous concerne collectivement et individuellement puisqu’il s’agit à la fois de notre “culture” personnelle et de notre vocation collective.
Nous remercions d’ores et déjà, Pierre Clément, didacticien, pour sa participation. D’avance merci à tout “petit débrouillard” et à chaque professionnel qui voudra bien répondre et contribuer à cet appel.
APPEL
Depuis le 24 juin 2012, l’information suivante circule sur le réseau “petits débrouillards” : “Le savoir scientifique peine à s’imposer dans les cerveaux”
Voir cet article sur le blog Passeur de sciences du journal Le Monde
Le “passeur de sciences”, Pierre Barthélémy, y présente une étude de deux psychologues américains sur la persistance de nos représentations empiriques (référence à nos raisonnement spontanés ancrés dans notre expérience sensible et notre culture quotidienne), antérieures donc aux représentations plus scientifiques que nous construisons plus tard lors de l’enseignement que nous recevons dans diverses disciplines (sciences “dures” pour l’essentiel)
Nous renvoyons à son excellent compte rendu et, pour les curieux : au texte de cette étude : “Scientific knowledge suppresses but does not supplant earlier intuitions”.
Mais nous proposons de poursuivre la discussion plus avant parce que cette étude nous parait être de celles sur lesquelles nous fondons la démarche “petite débrouillarde”, rappelée ici sous les propositions suivantes:
- Aborder les sciences par leurs méthodes plus que par leurs résultats,…
- Prêter attention à la manière d’apprendre où la déstabilisation des interprétations naïves (voire des superstitions) est peut-être plus importante que l’accumulation de nouvelles connaissances qui ne déstabilisent pas ces idées initiales qui continuent alors à fonctionner dans la vie quotidienne, …
- Développer l’esprit critique propre à la recherche, présenter la “science en train de se faire” avant l’aspect normatif de la “science faite”,…
Les dispositifs historiques qui font le label “petits débrouillards” comme “le ludion” ou encore “la bougie dans le bocal” sont exemplaires de cette démarche. Le jeu créé pour l’année Darwin et qu’on pourrait appeler “la chasse aux papillons” répond aux mêmes principes appliqués dans la sensibilisation à la notion de sélection naturelle.
Une caractéristique de ces jeux est bien, grâce aux discussions qu’ils suscitent, de confronter l’expérience quotidienne (voire plus basiquement la perception dans le cas de “la chasse aux papillons”) à des “évènements de raison” qui sont l’accès direct à la science.
Ce terme bachelardien d'”évènement de raison” peut nous ramener à une discussion plus abstraite, … On verra bien.
Un dernier aspect, pas sans intérêt, est la manière dont la majorité des blogueurs ont réagi sur “passeur de sciences” en se ruant sur la discussion de “faits” plus ou moins construits (comme la terre tourne autour du soleil) en terme de vrai ou faux mais en oubliant complètement le problème abordé dans l’étude donnée en référence.
Cette constatation justifie à elle seule notre attention constante aux travaux des épistémologues, historiens, psychologues, sociologues des sciences, ainsi qu’aux didacticiens et aux pédagogues (que nous sommes un peu tous) qui essaient de tirer parti de leurs observations.
Petits débrouillards (ou pas) à vos plumes !
Contributions
“Dans les années 70, j’ai posé à des étudiants scientifiques (première année de Fac) la question suivante : « Assoiffé, vous buvez un litre d’eau. Quelques minutes après, vous avez envie d’aller uriner ! Dessinez très schématiquement le trajet de l’eau dans votre corps, depuis la bouche, et avant que vous n’alliez uriner. »
Surprise : plus de la moitié des étudiants ont fait directement déboucher l’intestin dans la vessie ! J’ai posé la même question depuis à des centaines de personnes : selon le public, il y a généralement entre 50% et 90% d’intestin débouchant dans la vessie, ce que j’ai appelé la conception « tuyauterie continue ». Seuls les prof de bio, et les médecins, dessinent tous que l’eau passe dans le sang puis dans tout le corps.
Cependant, si on demande aux mêmes personnes de dessiner, au verso de la même feuille, le trajet d’une perle qu’ils ont avalée par mégarde et qu’ils voudront ensuite récupérer le lendemain à la sortie, tous dessinent un tube digestif correct, où l’intestin se termine par l’anus. Ils ont donc tous appris et mémorisé l’anatomie du tube digestif, enseignée plusieurs fois dans le primaire et le secondaire … Mais la conception naïve « tuyauterie continue » est restée dans leur tête et fonctionne encore spontanément quand ils pensent « je bois, puis j’urine » …
On comprend sur cet exemple que l’obstacle non dépassé est celui d’une paroi (celle de l’intestin) qui est en même temps perméable … ce qui est le cas de nombreuses limites, de la paroi cellulaire aux murs de notre maison et aux frontières des pays …
Cet exemple devenu classique m’a amené à développer des recherches sur les conceptions des élèves, mais aussi des enseignants, des chercheurs et de tout public, pour analyser en quoi ces conceptions initiales s’opposent (mais pas toujours) à l’acquisition de connaissances scientifiques.
Les recherches ont montré que ces conceptions initiales s’enracinent dans la vie quotidienne de chacun, dans son contexte culturel, social, religieux, et qu’elles sont souvent difficiles à déraciner, mais qu’il est important de concevoir des stratégies pédagogiques (à l’école mais aussi hors de l’école, comme dans les musées ou dans les activités des Petits Débrouillards) qui, après avoir identifié ces obstacles, s’attachent à les dépasser.
La publication récente de Andrew Shtulman & Joshua Valcarcel (2012), qui est à l’origine de cet échange, est une confirmation, par une approche de sciences cognitives, de la prégnance des conceptions initiales, même après acquisition de connaissances scientifiques, prégnance que les didacticiens ont largement mise en évidence et étudiée depuis des années.
Je joins ici deux de mes publications récentes, en partie redondantes, l’une destinée aux didacticiens des sciences (chercheurs, enseignants, formateurs, animateurs d’activités de diffusion de la science), l’autre à un public plus large encore, sur la lecture des images.
Je reste prêt à répondre à toute question, remarque, critique …
Pierre Clément
Médiateur – rédacteur.
Ancien chercheur CNRS honoraire (Ethologiste et Evolutionniste).