J’espère supprimer ces lignes le plus vite possible, mais je trouve utile d’expliquer pourquoi je les écris aujourd’hui: Depuis quelques semaines, j’essaie de discuter et améliorer certains articles de wikipedia. En vain jusqu’ici. En attendant de pouvoir un jour renvoyer à des articles conformes à l’état actuel des connaissances (Konrad Lorenz, instinct, …) je préfère avertir mes lecteurs, solliciter et, autant que possible, nourrir leur sens critique. Dans cette nouvelle page j’aborderai la notion d’innéité et naturellement la question “inné-acquis”. La question suivante sera: “Les quatre questions de Tinbergen”, mais je ne doute pas que d’autres émergeront, … de fil en aiguille, …

Naturellement toute remarque et toute critique est bienvenue, y compris dans cette première phase d’élaboration (avril 2011)

Ouverture:

“Le caractère polémique de ce thème est largement épuisé, mais sa complexité reste entière. Son étude reste passionnante aussi bien pour ses avatars passés que pour les perspectives dans lesquelles elle s’inscrit aujourd’hui.

La discussion « inné / acquis » proprement dite est présente depuis longtemps mais c’est l’éthologie de la deuxième moitié du XXe siècle qui l’a poussée le plus avant, jusqu’à mettre en cause la pertinence de ces deux notions. L’étude de la dynamique et du développement des comportements dits instinctifs a produit, simultanément, la méthode et les résultats ouvrant la critique des positions héréditaristes et celle de la notion de « programme génétique » appliquée aux comportements.”

Cette introduction est tirée d’une conférence présentée à la cité des sciences en 2005 avec P.H.Gouyon, où nous nous étions efforcé de poser la question autant du point de vue de l’adaptation biologique (populationnelle) que du développement (individuel). (http://www.cite-sciences.fr/francais/ala_cite/college/v2/popupVideo/popup_video.php)

Mais, souvent, on aborde cette question sans rappeler les fondamentaux qui permettent d’éviter le piège de l’opposition simpliste inné – acquis, ou encore celui de l’évaluation erronée de la part de l’un et de l’autre dans un caractère physique, un trait de comportement, ou une aptitude cognitive. La discussion entre Nicolas Sarkozy et Michel Onffray, à la veille de l’élection présidentielle de 2007, reste l’exemple récent et fameux de ce piège.

Henri Atlan est un de ceux qui expliquent le mieux la question en référence à la biologie actuelle. Voici ce qu’il en dit (j’ajouterai mes propres commentaires pour éclaircir ou illustrer quand cela me semblera utile) dans le philomag: http://www.philomag.com/fiche-philinfo.php?id=37

Voici donc les réponses d’Henri Atlan:

Jusqu’à quel point peut-on parler de déterminisme génétique chez l’homme ? C’est-à-dire : qu’entend-on par « détermination », « causalité » ici  ?

1 -Le déterminisme génétique existe chez l’homme comme chez tous les êtres vivants. Mais comme dans tout organisme, même le plus “simple” limité à une seule cellule, il s’agit d’un ensemble de causes partielles, associées de façon complexe, à beaucoup d’autres causes où interviennent d’autres molécules que les ADN constitutifs des gènes: protéines, graisses, sucres, ions et autres petites molécules. On a cru autrefois, aux débuts de la génétique moléculaire, qu’un gène causait de façon totale et linéaire un caractère, suivant le schéma “un gène → une enzyme (une protéine) → un caractère“. Et cette idée, du fait de sa simplicité, a encore la vie dure alors qu’on sait depuis plusieurs dizaines d’années qu’elle est fausse.

2 -Un fragment d’ADN oriente – on dit qu’il code – la synthèse de plusieurs protéines différentes en association avec d’autres fragments d’ADN. Réciproquement, une protéine est codée par plusieurs fragments d’ADN. En outre, et c’est relativement plus nouveau, une même protéine peut avoir des fonctions différentes, et donc contribuer au développement de plusieurs caractères, suivant son environnement physicochimique dans la cellule, indépendamment du gène – l’ensemble des fragments d’ADN – qui l’a codée. En effet, une protéine est une longue chaîne d’acides aminés (de petites molécules) et c’est cette séquence linéaire qui est codée dans la structure linéaire des ADN. Mais cette chaîne se replie sur elle-même comme une pelote en trois dimensions, et l’activité de la protéine dépend de sa façon de se replier, qui, elle-même, dépend d’interactions multiples avec d’autres molécules qui constituent son environnement.

3 – Il résulte de tout cela, qu’à l’exception de cas très rares où l’ancien schéma un « gène → un caractère » peut encore être approximativement conservé, la causalité génétique s’inscrit dans des réseaux très compliqués de causalités biologiques multiples, dont beaucoup restent encore à découvrir, où les séquences d’ADN – les “gènes” ainsi identifiés et incriminés – ne sont en fait que quelques unes des molécules en interactions en boucles multiples avec beaucoup d’autres. C’est pourquoi la biologie est entrée dans une nouvelle ère, dite post-génomique (2), “épigénétique“, ou “biologie des systèmes“, ou “biocomplexité“, etc…, dans laquelle la génétique moléculaire sert de point de départ, pour des programmes de recherches, en fournissant des outils d’analyses ponctuelles puissants plutôt que des schémas explicatifs globaux satisfaisants. Autrement dit, les performances techniques sont très en avance sur la théorie.

4 -Les maladies monogéniques rares, comme la maladie de Huntington, la mucoviscidose et quelques autres, où un gène peut être identifié comme cause nécessaire et suffisante de la maladie, sont des exceptions dans ce contexte, et encore pas complètement, car l’âge d’apparition de la maladie et sa gravité peuvent varier. Très rares aussi, mais bien étudiées, sont les “erreurs innées du métabolisme” (telles que Phénylcétonurie, Maladie de Gaucher,…) où un gène anormal empêche la synthèse d’une protéine fonctionnelle. Ce n’est pas le cas des maladies les plus fréquentes et encore moins des troubles du comportement. Dans les cas de cancers, maladies cardiovasculaires, neurodégénératives, mentales, il ne s’agit que de corrélations statistiques plus ou moins rigoureuses, laissant place à des interprétations multiples, sans aucune preuve directe de causalité. On parle alors de “gènes de prédisposition”, expression dont la signification est très variable suivant les cas. C’est un de ces domaines dans lesquels le maniement des statistiques se révèle très difficile, parfois même pour les experts, et parfois même dangereux.

5 – Il vaudrait mieux proscrire, ou limiter au maximum, dans les discours biologiques qui se veulent explicatifs, y compris de la part de spécialistes, un certain nombre d’expressions qui sont devenues populaires. Celles de “patrimoine génétique” ou de “programme génétique” sont des métaphores trompeuses qu’il vaut mieux proscrire totalement. L’expression “gène de ceci”, “gène de cela” souvent utilisée dans des annonces spectaculaires doit être strictement limitée à ces cas rares de maladies monogénétiques, et à l’identification de séquences d’ADN codant pour des protéines dont les fonctions normales ou pathologiques sont connues, ainsi que les mécanismes causaux, divers génétiques et épigénétiques, par lesquels ces protéines produisent les effets incriminés. Ceci aurait pour effet de relativiser, déjà au niveau de la recherche biologique fondamentale, la part des gènes dans le développement et les fonctions des organismes, tant il est clair aujourd’hui que l’organisme contrôle le génome au moins autant que le génome contrôle l’organisme. Il s’agit là d’une révolution dans les mentalités qui a commencé à pénétrer le monde de la recherche en biologie moléculaire et cellulaire, mais qui a du mal à passer non seulement dans le grand public, mais encore dans l’information médicale.

6- La sempiternelle question de l’inné et de l’acquis est une source sans cesse renouvelée de faux problèmes et de malentendus. Ce furent des scientifiques de haut niveau, relayés par les media, qui ont annoncé que toutes les maladies seraient guéries grâce au projet génome humaine, y compris les pathologies sociales comme la criminalité et même la pauvreté. Les choses ont changé, comme je vous l’ai dit, en partie grâce aux résultats inattendus de ce projet. Et il est généralement admis que des facteurs d’environnement sont associés aux déterminismes génétiques et c’est évidemment un progrès par rapport au réductionnisme du même nom. Mais la question rebondit aussitôt quand on croit pouvoir “mesurer” la part innée – ou génétique, bien que cela ne soit pas la même chose – et la part acquise. Les revues scientifiques de haut niveau publient encore des études sur de telles estimations, bien que les méthodes statistiques sophistiquées utilisées reposent sur des hypothèses erronées, et que cela ait été dénoncé régulièrement par des articles critiques depuis plus de trente ans. Ces calculs n’auraient de valeur que si l’on admettait que les effets des gènes et de l’environnement s’ajoutent les uns aux autres de façon indépendante. Or il n’en est rien : les effets des gènes dépendent de l’environnement et réciproquement. Une part d’inné peut être de 40% dans un environnement donné et de 10% ou 75% ou n’importe quoi d’autre dans d’autres environnements.”