Jean-Marc Levy-Leblond étudie depuis longtemps les rapports entre culture, science et technique.

Sa dernière conférence sur ce thème (http://imaginaires.telecom-paristech.fr/2011/05/30/jean-marc-levy-leblond-invite-des-jeudis-de-limaginaire-le-23-octobre-2011/ ), vient d’être utilement publiée sur papier (2013).

On a vu après l’audition publique sur le maïs NK601 (voir commentaires dans cette page) que le débat sur les OGM (tels qu’ils existent) revêt de multiples facettes et que la discussion à leur propos mobilise tous les publics. Et nous mêmes “petits débrouillards” comme citoyens-acteurs des débats dits “sciences et société”.

En ce début d’année 2013, plusieurs publications abordent la question de l’évolution des sciences en rapport avec les techniques (dans ce qu’on appelle la “technoscience”). Ces études, en surplomb des questions particulières comme celles des nano-technologies ou des OGM, présentent l’intérêt de donner un cadre général pour l’analyse de la situation actuelle (dénommée désormais l’ “économie de la connaissance” !), des dangers qu’elle introduit, des attitudes qu’elle induit, des alternatives qu’elle suggère.

La question des rapports entre la science (le développement de connaissances fondamentales sur le monde) et la technique (notre capacité à agir sur le monde) et de leur histoire n’est pas nouvelle pour Jean-Marc Lévy-Leblond.

“La science entre technique et culture”

Rien ne remplacera l’écoute (ou la lecture) de l’analyse qu’il développe, depuis longtemps maintenant.

Le titre “le grand écart”, qu’il donne à son texte écrit, est suffisamment explicite pour éviter d’en faire une nouvelle analyse détaillée (voir le paragraphe “(Re)Mettre la science en culture” dans “A la découverte de la culture scientifique”, dans cette page wiki-débrouillard). Mais rappelons que cette analyse s’adresse d’abord aux scientifiques, du moins lorsqu’ils l’ignorent. Rappelons aussi que le rapport Lecourt, qui n’est pas si vieux (2000), pointait aussi la carence d’enracinement culturel des études universitaires scientifiques et que le divorce entre science et culture concerne aussi l’université.

Devant ce manque criant, la création d’un enseignement dit de “culture générale” (histoire, philo jusqu’à la sociologie des sciences et aux questions éthiques ), dans certaines écoles doctorales (pas toutes hélas!) , n’était qu’un palliatif. De même l’attitude critique vis à vis des sciences et de la culture scientifique “dominante”, adoptée par des associations (comme “les petits débrouillards”) n’est guère visible, même si elle procède de cette tentative de compréhension des transformations que la recherche et les sciences subissent face à l’économie, la politique, etc.

“Faute que la science retrouve son intégration dans une matrice culturelle plus large, faute que nous mêmes scientifiques, techniciens, ingénieurs, ayons une meilleure connaissance de l’histoire, de la philosophie, voire de la sociologie et de l’économie de nos sciences, nous risquons de nous retrouver sur la liste des espèces menacées de disparition” conclue Levy-Leblond.

D’autre part ce dernier rappelle que si la science moderne inventée par Galilée (mécanique) date bien du XVIIème siècle, les techniques qui lui sont associées lui préexistaient (et même l’ont largement inspirée). Ce n’est qu’à partir du XIXème siècle que le couplage entre science et technique tel que nous le connaissons s’inverse et que les connaissances théoriques fondamentales précèdent et permettent le développement de technologies nouvelles. Souvent contre l’intuition même des chercheurs fondamentalistes. Lévy-Leblond cite Rutherford (découvreur du noyau atomique en 1911) qui, en 1933 soit cinq ans avant la découverte de la scission nucléaire et douze ans avant Hiroshima, “pensait totalement illusoire l’idée d’utiliser un jour les puissantes forces nucléaires”. Mais il aurait pu citer Jacques Monod qui n’a pas envisagé les applications de ses travaux en biologie moléculaire.

“Nous devons absolument prendre conscience, ajoute Levy-Leblond, que le monde dans lequel nous vivons, où la science fondamentale est essentielle à la technique et l’industrie, est un monde tout jeune, qui a à peine plus de deux siècles, ce qui à l’échelle de l’expérience humaine est fort peu.”

Mais en terme de politique de recherche (ou industrielle ? on ne sait déjà plus trop comment dire) privilégier l’innovation jusqu’au pilotage de la recherche fondamentale par ses applications (pilotage par l’aval, sans souci des conséquences de ces applications et de l’assèchement de la science elle-même) c’est rompre justement ce couplage entre science et technique à qui nous devons l’essentiel de ce que nous appelons encore “progrès” (du téléphone, à l’électronique, …). C’est la rupture du couplage entre science et technique sans subordination qui, avec l’éloignement de la culture, consacre le grand écart dénoncé par Lévy-Leblond. La technologie des plantes génétiquement modifiées (telle qu’elle est actuellement pratiquée par les entreprises qui s’en sont emparées) représente un des cas les plus exemplaires de cette situation. Alors qu’elle vise à s’étendre sur des surfaces cultivables toujours plus grandes ses promoteurs refusent de considérer la plupart des arguments des écologistes (scientifiques), des pédologues, des agriculteurs, des paysans des citoyens et de l’écologie politique.

Plus largement, à l’heure de l’anthropocène (réchauffement climatique, effondrement de la biodiversité, conséquences désastreuses des pollutions de toutes sortes sur la physiologie et la santé humaines et des autres êtres vivants, …) faut-il maintenir les techniques impliquées dans ces bouleversements ?

A la nécessaire prise de conscience des scientifiques du “jeu” dans lequel ils sont impliqués (voir la récente pétition “science et conscience”) qu’ils le veuillent ou non, s’ajoute donc celle de la société (et donc l’éducation populaire). Si nous pouvons mesurer l’actuelle faiblesse (quantitative) de ces deux mouvements nous pouvons aussi approfondir leur réflexion à partir de textes comme celui de Lévy-Leblond et des livres récents comme ceux publiés par Isabelle Stengers (“Une autre science est possible”) et Jacques Testard (A qui profitent les OGM ?).

Plus que jamais ? = +, entre nous, avec les chercheurs sur ce thème et avec tous nos partenaires de la société ! (par exemple avec les signataires du texte suivant:

http://www.huffingtonpost.fr/annick-delhaye/jeunesse-education-environnement_b_2931750.html?utm_hp_ref=france