L’audition publique du 19 novembre a permis de réunir politiques, scientifiques, institutions scientifiques, simples citoyens, journalistes, etc, …
http://www.assemblee-nationale.tv/chaines.html?media=3628&synchro=0&dossier=12
1) L’évaluation de l’étude Séralini:
Il faut remarquer que cette étude, annoncée à grands tapages juste avant sa publication, a été l’objet d’une évaluation rare dans la communauté scientifique. Bien au delà des agences convoquées dans l’urgence, de nombreux scientifiques, seuls ou au sein de leurs laboratoires en ont analysé les données, les résultats et les conclusions (voir plus bas: sur quelques effets de la “publication Seralini”). Il ne faut pas s’en étonner: d’une part les questions levées par les bio-technologies sont au coeur de la biologie et des débats “science et société” depuis des dizaines d’années maintenant; d’autre part la lecture critique des articles scientifiques est un exercice quotidien, incontournable, de chaque chercheur. De cette évaluation par les pairs, spontanée ou non, il ressort principalement que les résultats de l’étude ne permettent pas de conclure sur les effets d’une consommation à long terme du maïs NK 603 et/ou du “Round-Up” associé à sa culture. Aujourd’hui cette étude est présentée par Séralini lui-même comme une première contribution, une étude préliminaire ….
2) L’expertise:
On ne peut comprendre la différence entre l’évaluation et l’expertise, entre “le scientifique” et “l’expert”, sans revenir à la réflexion fondatrice de Philippe Roqueplo (voir “Entre savoir et décision, l’expertise scientifique”, 1997, Sciences en questions, INRA éditions). Il ne s’agit pas de nier que les experts sont aussi des scientifiques, mais de remarquer que “dès lors qu’il s’agit d’expertise, le scientifique va devoir répondre à une question qu’il n’a pas choisie” et dont il ne possède pas la réponse. Alors que “l’art du chercheur tient pour une bonne part à sa capacité de poser les “bonnes” questions, c’est à dire celles qui sont scientifiquement fécondes” à plus ou moins long terme, le fait que “la question posée (aux experts) concerne une décision à prendre ici et maintenant” est la deuxième des raisons pour lesquelles les scientifiques devenus experts sont dans une situation bien plus difficile. C’est sans doute cette réalité qui a amené des agences d’expertise à conclure, tout à la fois, que l’étude Séralini ne démontre pas d’effets (tout comme l’évaluation par les pairs) et de recommander que de nouvelles études soient entreprises. En clair, au lieu de conclure qu “il n’y a rien à voir”, les agences admettent qu’ “il faut voir”! Cette sensibilité nouvelle à la recherche d’effets à long terme de la consommation de l’OGM NK603 ET/OU du Round-up qui lui est associé, est néanmoins une brèche dans les règles qui prévalaient jusque là dans l’évaluation des “effets sanitaires” de cet OGM. La participation de Robert Bellé à cette audience publique est une deuxième nouveauté. On sait que ce chercheur de la station biologique de Roscoff a démontré, depuis plus de dix ans, les effets du Round-up sur la mitose (plus précisément sur les étapes dites de “check point” de ce processus fondamental et universel des eucaryotes). Ces résultats, jamais démentis mais au contraire précisés depuis leur première publication, n’avaient semble-t-il, jamais été présentés devant les agences et commissions d’experts,… On comprend la satisfaction (non dissimulée) de Bellé, d’avoir pu (on a envie d’ajouter, enfin) s’exprimer devant des experts et d’esquisser ainsi un débat plus complet et contradictoire sur la question. Il reste qu’on en est encore aux effets purement toxicologiques et biologiques sur des organismes “cibles”, et loin des aspects écologiques et agro-systémiques que le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll avait cités lors de son intervention d’ouverture.
3) La contribution citoyenne:
C’est aux continuateurs du travail de Roqueplo et particulièrement à Bernard Chevassus-au-Louis (voir “L’analyse des Risques, L’expert, le décideur et le citoyen, éditions Quae, 2007) que l’on doit les propositions du dépassement du modèle initial de l’expertise par l’introduction de la société et des citoyens (professionnels, utilisateurs et simples citoyens). C’est justement sa position de citoyen que le mathématicien Cédric Villani a d’abord précisée dans son intervention à l’audition publique dont nous parlons: “En tant que citoyen je pense qu’il y a un laxisme inacceptable des gouvernements des pays développés concernant l’usage des OGM. Si je ne suis pas choqué sur le principe du développement de nouvelles espèces vivantes, pratiqué depuis des millénaires par des techniques autres que la bio-ingénierie, en revanche je trouve monstrueuse l’idée des brevets sur les espèces vivantes; je trouve aberrant, du point de vue environnemental, le principe même des plantes génétiquement modifiées pour être résistantes aux pesticides; et je pense que le modèle économique et social induit à travers le monde par les plantes génétiquement modifiées est souvent inacceptable pour les agriculteurs.” Et il terminait par ces mots: “le caractère spectaculaire de cette étude a focalisé le débat sur le pouvoir cancérigène des OGM, au détriment de tous les autres éléments, sociaux, économiques et éthiques, du débat sur les OGM, qui pour la société doivent aussi être abordés très sérieusement.» En effet, qu’ils soient ou non d’accord avec chacun des points évoqués par Villani, beaucoup de citoyens souhaiteraient sans doute que l’expertise soit étendue aux aspects écologiques et environnementaux (que signifie le NK630 et son herbicide associé pour les sols ? quel rôle jouent-ils sur la biodiversité ?) aux aspects sociaux et économiques (quel(s) type(s) d’ agriculture(s) peu(ven)t s’accommoder de la culture de cet OGM ?) et, naturellement, que l’identité entre “propriété intellectuelle” et “propriété industrielle” soit réévaluée, au moins quand il s’agit du vivant.
Une telle ouverture de l’expertise à la société, préfigurée par divers dispositifs (dont la “conférence citoyenne” est la plus connue) impliquera la participation d’ “experts” de nouvelles spécialités. Ainsi, nombre de citoyens isolés ou organisés en associations (professionnelles, d’usagers ou directement engagées sur l’articulation entre “science et société”) sont suffisamment “instruits” de ces questions pour suivre et comprendre une expertise plus large et démocratique, qui échapperait à une simple juxtaposition de spécialistes.
Ce commentaire dépasse l’affirmation de simples convictions individuelles et on en n’a d’ailleurs guère vu la trace au cours de cette l’audition publique. Mais il débouche sur la reconnaissance de ce que ce que les sociologues ont dénommé le “tiers secteur scientifique” et rejoint les propositions de Chevassus-au- Louis. Pour être “complet” sur la question notons que Bernadette Bensaude Vincent terminait son livre “La science contre l’opinion, histoire d’un divorce” (éditions la découverte 2007 ?) par ces lignes: “Une fois établi que le public et l’opinion ont un rôle à jouer dans le développement des sciences, un rôle politique de citoyen, un rôle cognitif de penseur éveillé, il revient à chacun de nous de choisir le rôle qu’il veut tenir… Le partage entre science et opinion correspond moins à une rigide distribution sociale du savoir qu’à un jeu de rôles accessible à chacun de nous; jeu de rôles qui conditionne à la fois l’essor des sciences et le fonctionnement de la démocratie.”
4) Une communauté divisée, … mais active;
Après l’exposition de ses convictions de citoyen, Villani a repris sa casquette de scientifique pour aborder l’affaire Séralini et ses répercussions dans la communauté scientifique. Je n’ai, personnel-lement, pas grand-chose à ajouter sur son appréciation de la stratégie de communication adoptée par Séralini pour lancer le débat. Cette stratégie a d’ailleurs été qualifiée “d’extrème ” par la “fondation sciences citoyennes”. Je partage aussi largement son avis sur les “bonnes pratiques” et c’est pourquoi j’essaie, ici même, d’aborder le débat sans polémique, ni attaque personnelle … mais non sans critiques, ni esprit de “dispute”.
Ainsi je ne comprends pas, même dans un souci d’ apaisement, qu’on puisse renvoyer dos à dos les deux textes-pétitions publiés, l’un sur le site du CNRS, l’autre dans le journal Le Monde, sans analyser un minimum ce que dit chacun, au fond.
Pierre-Henri Gouyon a longuement expliqué, (http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-henri-gouyon/191112/qui-seme-le-doute-recolte) pourquoi le texte publié par le CNRS et intitulé “Pour un débat raisonné sur les OGM”, appelait la réponse “Science & Conscience” publiée par “Le Monde”. Ne serait-ce que pour signaler que la communauté scientifique est effectivement divisée sur un certain nombre de questions importantes, d’ordre philosophique et épistémologique: A l’accusation de “sacralisation de la nature”, celle de “sacralisation de la technique” ne se pose-t-elle pas ? Ne doit-on pas tempérer la promesse de la “techno-science” d’un progrès continu, par le souci des conséquences de ce progrès, par le principe de précaution (ou, mieux, de responsabilité) ? La conception mécaniste du vivant mise en oeuvre dans les techniques OMG ne doit-elle être, pour le moins, confrontée à celle systémique et écologique du vivant ?, …
Rien ne sert de cacher ou d’éviter ces débats. Mieux vaut les affronter, au plus près des bonnes pratiques scientifiques et démocratiques. En fait d’appel “pour un débat raisonné sur les OGM”, on peut regretter qu’aucun de ses signataires n’aient su signaler qu’il était déjà engagé par d’autres. Et bien au delà du simple débat puisque des chercheurs travaillent, depuis des années déjà, à la construction d’autres OGM, “philanthropiques et verts” et/mais “révés” pour Jean-Pierre Berlan (cosignataire du premier article contre le projet Terminator de Monsanto) et “plus simplement “possibles” pour Ivan Couée. (*) . Quoi qu’il en soit de ces “possibles”, le fait que des chercheurs nourrissent leur activité de leur réflexion éthique et assument que le principe de précaution est un principe d’action (contrairement à ce que ses détracteurs soutiennent sans cesse) est en soi une bonne nouvelle, qu’il serait fautif de ne pas partager. A suivre,…
(*) Ivan Couée est chercheur à l’université de Rennes 1. Déjà sollicité par les petits débrouillards sur une expérimentation de “séminaire d’exploration de controverse”, je le remercie de m’avoir signalé sa contribution aux débats de la SFE, sur les OGM http://www.sfecologie.org/regards/2011/05/10/r17-a-et-b-ogm/
Médiateur – rédacteur.
Ancien chercheur CNRS honoraire (Ethologiste et Evolutionniste).